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L'ECOEUREMENT littérature bd politique cinéma art
25 mai 2008

Mai 68 une contre-révolution réussie

Mai_68de Régis Debray

aux éditions Mille et une nuits

A l'heure où la ronde médiatique ne cesse plus de célébrer la "révolution" dite de Mai 68, qui aurait pour ainsi dire "inventée le monde" ou presque ; à l'heure où sur toutes les télévisions et radios l'ex-mao Glucksmann se félicite en clignant de l'oeil d'avoir participé à "l'émeute" non pas pour faire tomber le capitalisme, mais bel et bien pour provoquer la chute et la disparition du communisme ; à l'heure où sur les ondes chacun se félicite avec un sourire mortifère d'avoir participé à la fête et loue ce qu'elle nous a laissé en héritage - au moins comme le plus sûr moyen d'éviter l'ennui, puisque, nous dit-on encore, avant le "joli mois" la france vivotait seulement dans un mortel ennui ; à cette heure où tout un régime anthropophage parle de ce qu'il ignore pour mieux dissimuler ce qu'il sait, à cette heure donc, l'ouvrage de Régis Debray pourrait bien être l'un des rares pavés de l'intelligence balancé dans la gueule de tous les encenseurs du cadavre Mai 68. Le "joli mois de mai" fut un passage au "joli MOI" tout court, et guère autre chose. En tant qu'événement, il ne fut pas un écart mais la réduction d'un écart, l'affirmation et la confirmation de la situation économico-marchande qui le précédait et l'élimination des moeurs qui "résistaient" à cette dernière. Après Mai 68, les portes étaient ouvertes à la marchandisation de tous les rapports. Bien sûr, il y eut plusieurs Mai 68 (trois selon Régis Debray), et les situationnistes et quelques autres essayèrent de réaliser une véritable révolution ayant pour objet d'en finir avec le capitalisme, mais ils s'y essayèrent au milieu d'une confusion et d'une indécision totale de l'ensemble du mouvement (en particulier du mouvement étudiant, partiellement animé - c'est le mot - par l'imbécile rougissant Daniel Cohn-Bendit). Bref, lire Mai 68 une contre-révolution réussie, revient à lire l'une des rares analyses cohérentes, à ma connaissance, des événements.

   Mais - car ici il y a un mais aussi sûrement qu'il y eut bien un mai 68, et un mai 68 mondial qui dura en réalité quelques années - mais, donc, l'analyse de Régis Debray tient surtout après coup, et rend plus compte de ce qui a rapidement été réemployé du joli moi par l'ennemi que de "l'émeute" elle-même, c'est-à-dire de ce que l'ennemi a su injecter des "non-conformismes" libérateurs qui avaient réellement fait saillie durant les quelques trop brèves semaines de l'écart soixante-huitard , dans le conformisme, afin d'en sauver l'essentiel : l'Etat, la famille (même recomposée), le travail salarié (même mieux payé, puis bientôt moins encore), l'arbitraire hiérarchique (même en détendant les rapports entre supérieurs et subordonnés, puis en les durcissant bientôt), et bien entendu le Capitalisme. Ce n'est donc pas Mai 68 en soi qui a permis d'aliéner (au sens marxien) plus encore qu'avant à la marchandise tous les rapports sociaux, mais le réemploi fallacieux qu'en a fait la domination. Il faut donc lire le livre de Régis Debray sans oublier un instant qu'il décrit justement ce réemploi et ses conséquence, non le mois de mai lui-même, contrairement à ce qu'il semble croire. Car il faut le rappeler, l'écart soixante-huitard, lui - et surtout ceux qui l'ont créé - voulait en finir radicalement avec tout ce qui lui est aujourd'hui mensongèrement attribué, et qui doit beaucoup plus en réalité aux multiples développements endogènes du capitalisme et de son spectacle, il est vrai bien aidé par les plus fins stratèges de la domination. Aussi regretterons-nous que Régis Debray ait cru bon de changer le titre de son livre pour sa réédition (icelle est faite dans le cadre des 40 ans de 68), puisque son premier titre "Modeste contibution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire", invitait plus clairement à comprendre qu'il y avait plus de raisons de critiquer la commémoration déjà falsificatrice des dix ans après, que le mois de mai 68 à proprement parler. Mais le temps semble avoir fait son oeuvre, et je ne sache pas que Debray soit ici et maintenant encore un révolutionnaire.

Léolo

Extraits du livre : 1 - La voie française vers l'Amérique passait par Mai 68 - seule une crise pouvait lever nos handicaps. Dans sa marche vers la normalisation, en effet, la société française moderne traînait dans ses bagages deux valeurs collectives fort embarrassantes : l'idée de nation, et d'indépendance ; l'idée de classe ouvrière, et de révolution.

2 - Il y a une harmonie naturelle, mais non préétablie, entre les rébellions individualistes de Mai et les besoins politiques et économiques du grand capitalisme libéral. Contestation et domination, hérésie et orthodoxie ont pratiquement fusionné. C'est pourquoi il est parfaitement vain de se battre avec des idées contre l'idéologie soixante-huitarde, car celle-ci ne domine pas la scène idéologique en vertu de la force de ses idées (rarement vit-on vulgate plus diaphane : l'Etat, c'est le mal, "penser c'est dominer", on veut être autonome, etc.), mais en vertu de son aptitude à traduire en idées les besoins de la classe dominante.

Régis Debray

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