Il faut retenir surtout ce « passage sous silence

Il faut retenir surtout ce « passage sous silence » qui fait irrésistiblement penser au mutisme des corps adolescents, qui vont commettre le carnage de Colombine, filmés dans Elephant par le cinéaste Gus Van Zant. Ce ballet d’un esthétisme languide et neutre, qui confine peu à peu à l’effroi, rappelle par bien des points l’art sans parole du mannequin. Là aussi, le corps est réduit à un concept, il défile dans une zone platonicienne, caverne des marques, des logos, qui s’est muée en étalage du « fétichisme de la marchandise » que Marx avait décelé comme l’aspect métaphysique qui se cache dans le consumérisme. De plus en plus adolescent, le mannequin se doit d’être impassible, androgyne, ascétique, et s’appliquer à un défilement dont l’esthétique est celle du casting, de la sélection, du tri humain. Il y aurait une théorie du mannequin à faire ; si le kamikaze n’arrive pas à se faire entendre du monde, le mannequin, véritable monnaie vivante, ne peut ni ne doit parler. Comme si ce que le syndrome de Virginia Tech contenait d’explosif, la fashion victim ou le modèle le condensait à l’extrême de l’implosion. Dans cette symétrie inversée, il y a un lien direct, qui mène tout droit à une annulation. On pouvait lire récemment cette dépêche de l’AFP : « Un mannequin brésilien de 18 ans, Ana Carolina Reston, est morte mardi d'anorexie à Sao Paulo, à la veille de son départ à Paris où elle devait poser pour des photos de mode, rapporte mercredi la presse locale. Mesurant 1m74 et pesant 40 kilos seulement, Ana Carolina avait été hospitalisée il y a trois semaines avec une infection urinaire qui s'est transformée en insuffisance rénale puis en infection généralisée. "Elle n'avait aucune résistance et les médicaments ne faisaient plus d'effet en raison de son extrême faiblesse", a déclaré à la presse Mirthes Reston, la tante d'Ana Carolina qui travaillait pour L'Equipe, l'une des grandes agences de mannequins du Brésil. La directrice de l'agence a indiqué qu'Ana Carolina avait participé au catalogue de Giorgio Armani au Japon mais qu'elle avait dû rentrer au Brésil car elle était trop maigre et fatiguée. Mannequin depuis l'âge de 13 ans, Ana Carolina avait déjà travaillé, outre le Japon, au Mexique, en Chine et en Turquie mais dernièrement elle ne s'alimentait que de pommes et de tomates. La nouvelle du décès d'Ana Carolina, des suites d'une anorexie, a relancé le débat au Brésil sur le poids minimum des mannequins pour pouvoir défiler. » Il faudrait ajouter que la liste est longue de ces modèles de grands couturiers tombés d’extinction, comme Luisel Ramoss, une jeune mannequin uruguayenne de 22 ans, morte d'épuisement à la fin d'un défilé.